Fractionnement de la créance et abus de procédure  

Di Mariacarla Giorgetti -

Sommaire : 1. Introduction. – L’interdiction du fractionnement de la créance aux termes des articles 88-96 du Code de procédure civile – 3. … (suite) L’origine jurisprudentielle de la figure. – 4. Étendue et limites – 5. … (suite) Autorité de la chose jugée et sanction.

1.Thème très complexe et débattu, la réflexion sur le fractionnement abusif d’un même droit [1] (également connu sous le nom de « parcellisation de la créance ») visant à faire un usage abusif de l’instrument du procès [2] occupe la doctrine depuis des décennies.

À une époque marquée par l’ambition toujours plus grande de créer un procès civil à même d’assurer une protection non seulement efficace, mais aussi efficiente et donc ponctuelle, ce thème acquiert une nouvelle vigueur, si l’on considère que le phénomène auquel nous avons fait allusion, autrement dit la « multiplication » des procédures judiciaires fondées sur la même causa petendi (et qui, en tant que telles, pourraient et devraient être introduites dans le cadre du même procès), est inhérent au respect des principes fondamentaux de l’économie processuelle, du procès équitable et de la bonne foi processuelle, que les récentes réformes du procès civil visent évidemment à renforcer.

En doctrine, le célèbre Satta [3] – qui reconnaissait la liberté des parties de délimiter le périmètre du litige, en lui fixant toutefois comme limite le fractionnement artificiel de la demande – soutenait que, bien que la res iudicanda, autrement dit l’objet du litige sur lequel le juge sera ensuite appelé à se prononcer, ne doive pas nécessairement coïncider avec la réalité juridique substantielle à lui sous-jacente, cela ne s’oppose pas à ce que les parties puissent circonscrire l’objet du procèdes à un seul ou à certains seulement des aspects juridiques du droit déduit en justice. Cela dans le respect de la limite du fractionnement de la res in iudicio deducta (ce qui est porté devant le tribunal) et, par conséquent, de l’établissement de positions substantielles qui ne sont pas avantageuses parce qu’elles sont dépendantes. Cette position reflétait l’opinion de la doctrine majoritaire, qui tendait à souligner la nécessité que la procédure judiciaire concerne toujours au moins un droit et pas seulement certains de ses contenus mineurs ou de ses aspects secondaires [4].

Il convient de souligner d’emblée que les difficultés inhérentes à la réflexion que nous nous apprêtons à mener découlent de deux éléments en particulier.

Le premier est l’absence dans l’ordre juridique, parmi les dispositions tant du droit civil substantiel que du droit procédural – auxquelles la problématique du fractionnement abusif de la créance est inhérente – d’une disposition sanctionnant expressément l’interdiction pour les parties d’introduire des demandes processuelles distinctes portant sur le même droit, et a fortiori sur la même créance.

La seconde tient précisément à la nature relative du droit concerné. En d’autres termes, il n’est pas surprenant que la problématique du fractionnement de la demande en justice soit, en réalité, concerne avant tout le fractionnement d’une même créance, étant donné que, vu la nature déterminée de l’extérieur du droit-créance, qui offre l’exemple du droit relatif par excellence, l’introduction de plusieurs demandes en justice serait en principe admissible. Ce qui ne pourrait pas être le cas, a priori, pour un droit absolu, tel que le droit de propriété, où la causa petendi, comme on le sait, n’a pas pour fonction d’identifier le droit qui fait l’objet de la demande, mais a, pour ainsi dire, une fonction de preuve, étant entendu que le droit sera toujours le même, abstraction faite du fait constitutif à la base de la demande. On connaît l’exemple « scolastique » du droit de propriété, pour lequel il est indifférent qu’il ait été acquis à titre originaire (par exemple par usucapion) ou à titre dérivé (contrat de vente).

Or, dans le cas du droit-créance, la diversité tendancielle du contenu et de l’origine de chaque droit trouve un démenti dans le cas d’espèce, étant donné que les demandes judiciaires proposées ne reposent pas sur une causa petendi différente, mais sur la même qui est fractionnée en autant de parties que sont les demandes en justice engagées, avec un effet multiplicateur similaire des litiges, donc des procès et, enfin, des décisions judiciaires qui doivent être adoptées. L’effet sur le nombre des procès en cours, et donc sur leur durée, et sur l’économie et l’efficacité du procès semble évident ; pour chaque procès engagé successivement au premier, tout se passe comme si une sorte d’emendatio libelli  « extra-processuelle » était effectuée.

L’introduction fractionnée de demandes en justice relatives à une même créance, bien qu’apparemment légitime d’un point de vue formel (étant donné l’autonomie des prestations pécuniaires individuelles, que l’on songe par exemple au cas typique de l’introduction de plusieurs actions en justice en vue d’obtenir le paiement de plusieurs échéances découlant d’un même contrat de prêt hypothécaire), est manifestement contraire aux principes de loyauté et de correction processuelle lorsqu’il vise à procurer des avantages indus au créancier, au détriment du débiteur et de la bonne marche de la justice, sauf dans les cas où elle s’appuie sur un motif justifié .[5]

2.L’interdiction du fractionnement de la créance selon les articles 88-96 du Code de procédure civile et l’article 1175 du Code civil.

 

Dans le contexte décrit ci-dessus, caractérisé par l’absence de dispositions propres à décourager expressément l’introduction de plusieurs demandes en justice visant à obtenir la satisfaction d’une même créance, un rôle de premier plan est reconnu aux dispositions qui sanctionnent la conduite processuelle incorrecte des parties. Il s’agit des articles 88 et 96 du Code de procédure civile, autrement dit des dispositions qui imposent aux parties l’obligation de se comporter de bonne foi et loyalement dans le cadre du procès et l’interdiction du « procès téméraire » – dispositions dont la portée a été depuis longtemps « dilatée » au point de donner lieu, non sans critiques, à des catégories juridiques dépourvues de fait de toute base positive et de véritables obligations de comportement dans le cadre du procès à la charge des parties . [6]

Sur ce dernier point, on pense par exemple aux thèses visant à déduire des dispositions en question l’existence d’une véritable obligation des parties de se comporter conformément à la vérité dans le cadre du procès [7] . Cela, il convient de le rappeler, sur la base des résultats de la méthode comparative par rapport à d’autres pays (en particulier, lAllemagne et l’Autriche) [8] , où l’obligation en question, même si elle ne découle pas expressément de dispositions légales claires en ce sens, est néanmoins déduite des dispositions qui exigent des parties qu’elles se comportent selon le principe de la bonne foi.

Ce thème n’est qu’apparemment éloigné de la question du fractionnement abusif de la créance dans le cadre du procès, vu que l’un et l’autre semblent être les deux faces d’une même médaille, à savoir l’obligation des parties (qui a une base claire dans les dispositions légales) de se comporter de bonne foi dans le cadre du procès et d’en faire un usage conforme à la finalité de celui-ci. Si, dans le cas de l’obligation de vérité, il s’agit d’en déduire une véritable obligation de comportement « positif » dans le cadre du procès, autrement dit l’obligation pour la partie de faire tout ce qui est possible (dans la mesure où cela n’entraîne pas un sacrifice excessif) pour faciliter le déroulement du procès et le prononcé d’une décision conforme au moins à la vérité processuelle (non substantielle), dans le cas du fractionnement de la créance, cela se traduit par la prévision d’une interdiction de comportement qui, si elle n’opère pas au stade véritablement processuel, intervient néanmoins au stade pré-judiciaire et a néanmoins des répercussions évidentes aussi sur la portée et l’objet du procès et de la décision finale.

Toutefois, dans le panorama actuel du droit positif, il ne semble pas que l’on puisse faire découler de ces obligations – en particulier des dispositions des articles 88 et 96 du Code de procédure civile – l’existence d’obligations de comportement (positives ou négatives) incombant aux parties au procès ou de nouvelles catégories juridiques atypiques – telles que l’abus de procédure – ou, encore, d’une sorte de « test de bien-fondé » auquel est soumise la demande (qui ne pourrait même pas être déduit d’une interprétation extensive de l’intérêt à agir visé à l’article 100 du Code de procédure civile).

En effet, d’une part, il n’y a aucune difficulté à considérer les dispositions comme un critère d’orientation pour le comportement processuel des parties (et de leurs avocats) au cours du procès. Elles représentent le fondement de toutes les obligations qui, en agissant sur le comportement processuel des parties, visent l’objectif ultime d’une meilleure gestion, autrement dit d’une gestion efficace et efficiente, du procès. D’autre part, la portée ainsi décrite des dispositions en question est unique et caractéristique : la réglementation du comportement procédural des parties est le début et la fin des dispositions des articles 88 et 96 du Code de procédure civile, dont la portée ne peut être dilatée au point d’en déduire l’existence de catégories ou d’obligations de comportement dépourvues de fondement normatif [9] . Il s’agit d’une conséquence de l’amplitude et de l’élasticité qui caractérisent les dispositions en question (surtout l’article 88 du Code de procédure civile) : si, d’une part, elles se prêtent à des interprétations créatives, d’autre part, elles sont trop indéfinies pour qu’il soit possible d’en déduire l’existence d’obligations de comportement sanctionnées dans le cadre du procès et de catégories juridiques qui n’y sont pas expressément envisagées, qui ne pourraient évidemment être que la conséquence d’une interprétation forcée des dispositions en question elles-mêmes[10] .

Dans cette perspective, la « catégorie » de l’abus de procédure, entendue tantôt comme utilisation impropre de l’outil procédural pour la poursuite de finalités « autres » que celles auxquelles il est destiné[11] , tantôt comme abus du droit (à la protection juridictionnelle) n’existe pas, seul pouvant exister le comportement procédural d’une partie « déloyale », contraire aux dispositions de l’article 88 du Code de procédure civile et pouvant donner lieu à des sanctions si sont réunies les conditions requises à cet effet par l’article 96 du Code de procédure civile – dans le cadre desquelles (mais non pas de la catégorie dont on prétend déduire l’existence à partir desdites conditions) le comportement procédural du créancier demandant l’exécution fractionnée de sa créance peut s’inscrire.

3….suite. L’origine jurisprudentielle de la figure.

Dans ce contexte, marqué par l’absence, comme nous l’avons dit, de dispositions explicites concernant la prohibition de l’abus de procédure – en soi, ainsi que dans le sens spécifique du fractionnement de la demande en justice – un rôle central dans l’établissement des « principes régulateurs de la matière » a été joué, comme on le sait, par la jurisprudence. C’est à elle que l’on doit la reconnaissance d’un rôle authentiquement créatif de l’interdiction du fractionnement de la créance processuelle comme expression de la prohibition de l’abus de procédure[12] , des sanctions applicables au contrevenant, mais aussi des limites dans lesquelles la figure doit être contenue, nonobstant le fait que, pour le moins jusqu’au début du XXIe siècle, l’absence de dispositions explicites sur ce point n’avait pas manqué de favoriser des élaborations jurisprudentielles qui n’étaient en un certain sens pas réticentes à concevoir l’interdiction en question.

C’est si vrai que, rappelons-le, à l’aube même du XXIe siècle, la Cour de cassation,  statuant en assemblée plénière [13] , a pris explicitement position en faveur de la recevabilité de la demande en justice par laquelle le créancier d’une certaine somme, née de l’inexécution d’un seul rapport d’obligation, demande l’exécution partielle, en se réservant le droit d’agir pour la somme résiduelle.

L’assemblée plénière s’était alors prononcée en faveur d’une orientation jurisprudentielle antérieure qui avait énoncé la légitimité du « fractionnement » au motif que le créancier a la faculté de demander, même dans la procédure d’injonction de payer, l’exécution partielle, en corrélation avec le droit de l’accepter aux termes de l’article 1181 du Code civil, en évitant, par ailleurs, le risque de frais supplémentaires pour le débiteur, qui est exposé à une pluralité d’injonctions, en vertu du droit reconnu à ce dernier de mettre le créancier en demeure ou de demander l’établissement négatif de la créance.

Dans cette première phase, il ne semblait pas que le fractionnement de la créance soit reconnu comme intrinsèquement abusif, même lorsqu’il n’était pas soutenu par des finalités émulatives, même s’il s’agit, au contraire, d’un comportement de nature à provoquer la « désarticulation de l’unité substantielle de la relation » qui, mise en œuvre dans le cadre du procès et au moyen du procès, donne lieu à un abus de ce dernier, en présence d’une situation en substance unitaire.

En bref, jusqu’au début des années 2000, si la catégorie de l’abus de procédure existait, elle n’était pas (encore) conçue comme l’interdiction de présenter plusieurs demandes en justice relatives au même droit de créance, bien au contraire on peut dire qu’en substance l’intérêt du créancier à obtenir l’exécution primait sur le déroulement du procès. Plus auparavant encore, il ne semblait pas opportun de procéder à une mise en balance des intérêts opposés, puisqu’ils ne l’étaient pas effectivement.

La jurisprudence ultérieure, d’une part, a clairement montré qu’elle « condamnait » les comportements en question. Cela au nom de principes tirés du droit public[14] , d’une part : les principes d’économie processuelle, de durée raisonnable du procès ont été mentionnés dans le préambule ; d’autre part, les principes de portée pour ainsi dire personnelle, autrement dit ceux qui, comme la bonne foi processuelle, visent à guider le comportement des parties dans le cadre du procès.

D’autre part, cependant, cette orientation qui a évidemment un sens pas du tout positif, a également été remise en question, surtout récemment, en ce qui concerne ses limites, par la jurisprudence, qui reconnaît l’existence de cas où il n’est pas possible de parler de fractionnement abusive de la créance dans le sens critique et négatif dans lequel cette expression est employée et, à l’origine, a été conçue.

Quoi qu’il en soit, en partant de la position de la jurisprudence en la matière, un rôle fondamental a certainement été joué par le célèbre arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 15 novembre 2007, n°. 23726 [15] . Comme preuve de ce qui a été dit ci-dessus et, par conséquent, de la mutabilité tendancielle des dispositions sur la bonne foi processuelle et la responsabilité aggravée et de la catégorie même d’abus de procédure, l’arrêt susmentionné, opérant un revirement net par rapport à la position adoptée quelques années plus tôt, reste dans toutes les mémoires (à défaut d’être partagé et approuvé) [16] pour avoir été le premier à mettre en lumière cette pratique établie (aussi et surtout dans le but de multiplier les frais de procès) d’introduire des demandes processuelles distinctes ayant pour objet le même droit substantiel.

Le fondement de l’interdiction du fractionnement judiciaire d’une créance unitaire reposait en effet, à partir de l’arrêt attaqué, sur trois dispositions en particulier : les articles 88 et 96 du Code de procédure civile et l’article 1175 du Code civil, qui est le substrat des premiers.

En effet, à partir de l’arrêt en question, l’interdiction du fractionnement abusif de la créance a été conçue comme une nouvelle catégorie juridique, susceptible d’une interprétation élastique comme le sont les principes dont elle découle[17] , dans la mesure où elle entraîne une augmentation des frais et des délais pour le débiteur en raison de la nécessité qui en découle de se défendre plusieurs fois en justice, simultanément et successivement, ce qui revient à dire que le fractionnement d’une créance unitaire en initiatives judiciaires distinctes est contraire au principe constitutionnel du « juste procès » énoncé à l’article 111 de la Constitution.

Les principes qu’il est possible de tirer de l’exégèse de l’article 111 de la Constitution exigent en effet une lecture adéquate de toute la législation concernée par le phénomène du fractionnement de la demande en justice, à commencer par l’article 88 du Code de procédure civile[18] , déjà mentionné ci-dessus, disposition dont découle le corollaire , selon lequel l’action ne doit pas être exercée dans des formes excédant ou s’écartant des exigences objectives de la protection de l’intérêt substantiel, qui doit en outre être contenu dans les limites prévues à l’article 1175 du Code civil.

En tant que contrainte négative visant à empêcher les comportements abusifs (mais également dans un sens positif, en tant que critère d’interprétation du rapport obligatoire, en fonction de la réalisation de la justice matérielle entre les parties), il convient de rappeler comment le principe de correction, visé à l’article 1175 du Code civil, ainsi que celui de la bonne foi objective, visé à l’article 1375 du Code civil, imposent aux parties des obligations de coopération, de loyauté et de solidarité, se traduisant par des comportements actifs propres à protéger les intérêts de l’autre partie, même au-delà des dispositions littérales du contrat [19] . En ce sens, la bonne foi ne se limite pas à régler l’exécution du contrat, mais devient un critère d’interprétation de la conduite des parties à tous les stades du rapport : de sa formation à sa gestion et à sa résiliation.

Sur la base de cette interprétation, par conséquent, l’interdiction du fractionnement processuel de la demande n’est donc rien d’autre (c’est ainsi qu’elle a été conçue et qu’elle doit l’être encore) que la projection dans le procès des contraintes et des obligations qui informent le rapport d’obligation sur le plan substantiel, qui devient tel également grâce à l’intersection des principes mentionnés ci-dessus, qui, dans l’intérêt non seulement des parties, mais de l’institution judiciaire en général, imposent que tout procès soit conduit dans un délai raisonnable et de manière efficace.

En effet, à cet égard, il est surprenant de constater qu’au moment même où, dans un premier temps, la jurisprudence de la Cour de cassation semblait avoir pris position de fait en faveur de la possibilité de fractionner la demande en justice, le législateur approuvait la loi n° 89/2001, plus connue sous le nom de « loi Pinto », contre la durée excessive du procès. Mais, d’autre part, comme nous l’avons dit, malgré l’immanence et le caractère originaire des principes de bonne foi et de correction, on n’était pas encore allé jusqu’à les faire dialoguer et les équilibrer avec le droit et l’intérêt du créancier à obtenir l’exécution par le débiteur de son obligation. L’intérêt à une exécution correcte et rapide, par ailleurs, est sauvegardé par des dispositions telles que l’article 1206 du Code civil, qui permet au créancier, en présence d’un motif légitime, de rejeter l’exécution offerte, lorsque cela est justifié par des circonstances concrètes qui rendent la réception de l’exécution désavantageuse ou déraisonnablement onéreuse.

4.Étendue et limites de la figure.

Preuve du rôle central joué dans le panorama des procédures civiles internes par le respect des principes de loyauté procédurale et de bonne foi, le thème qui nous occupe a de nouveau fait l’objet de l’attention de la jurisprudence la plus récente, en particulier sous le double angle de l’identification de la sanction à adopter en présence de comportements processuels de cette nature et des « limites » de l’application de l’institution.

En ce qui concerne le premier aspect, la question de l’identification d’une sanction applicable revêt une importance centrale si l’on considère que, pour reprendre l’exemple donné au début, c’est précisément, entre autres, sur la base de l’argument de l’absence d’une sanction applicable allant au-delà du paiement des frais de procédure et des frais prévus par l’article 96 du Code de procédure civile que la doctrine s’oppose à l’existence d’un principe de sincérité (autre déclinaison de l’interdiction de l’abus de procédure ou, selon le point de vue, de l’obligation de bonne foi dans le cadre du procès) dans les procédures civiles internes. Et ce, bien que les dernières réformes du droit processuel aient accordé aient une importance croissante aux comportements processuels visant en quelque sorte à entraver le bon déroulement du procès : il suffit de penser au principe de clarté et de « synthéticité » processuelle [20] (mais aussi à ce la « disclosure » patrimoniale dans le cadre du procès familial).

Or, les derniers développements jurisprudentiels en la matière conduisent à constater que la « gravité » tendancielle du comportement inhérent au fractionnement de la demande en justice semble en fait s’être atténuée.

Un premier aspect digne d’attention est celui lié aux effets de l’introduction de la créance sur la décision ayant l’autorité de la chose jugée, qui affecte, a contrario, la recevabilité même du fractionnement de la demande. À cet égard, la jurisprudence la plus récente n’a pas manqué de souligner, avec une formule clairement susceptible d’une interprétation large, que les droits de créance qui, en plus d’être fondés sur le même rapport de durée entre les mêmes parties, s’inscrivent également en projection dans le même cadre objectif d’un éventuel jugement ou bien reposent sur des faits constitutifs identiques ou similaires dont la vérification séparée entraînerait une augmentation inutile et injustifiée de l’activité processuelle, ne peuvent être actionnées dans des procédures séparées « à moins » qu’il ne soit établi que le créancier a un intérêt appréciable à une protection processuelle fractionnée, faute de quoi la créance indûment fractionnée doit être déclarée irrecevable, sans préjudice du droit à l’introduire de nouveau dans le cas d’une demande unitaire. [21]

A cet égard, cette décision ne facilite certainement pas l’établissement de limites fermes, au moins égales à celles qui, en 2007[22] , avaient conduit l’assemblée plénière de la Cour de cassation à définir le fractionnement de la créance comme expression d’une forme d’abus de procédure. En effet, il resterait à clarifier plus précisément ce qu’il faut entendre par la référence à l’existence éventuelle d’un « intérêt appréciable à une protection processuelle fractionnée », qui pourrait justifier que le créancier introduise plus d’une action relative à la même créance [23] . Il s’agit d’une expression manifestement large qui, en tant que telle, renvoie plus qu’auparavant à l’appréciation de l’autorité judiciaire au cas par cas la question de savoir si la créance peut ou non être introduite et, d’un point de vue opposé, s’il existe ou non un fractionnement abusif de la créance ; en outre, en tant que telle, bien qu’elle soit clairement destinée à représenter un équilibre entre l’intérêt du créancier à la satisfaction de la créance et celui du procès et du système judiciaire en général à la limitation de l’arriéré judiciaire et à la durée raisonnable des procédures en cours, elle introduit néanmoins une condition d’exemption  à même de dissiper la connotation typiquement négative avec laquelle la figure en question a été conçue.

En fait, ces décisions, rendues ces dernières années, semblent renvoyer à la jurisprudence du début des années 2000 qui, tout en confirmant le caractère abusif du fractionnement, en tant que forme d’abus de procédure, lorsque les créances faisant l’objet des demandes multiples proviennent d’un même rapport d’obligation, admet néanmoins la possibilité d’un second procès pour la créance résiduelle. Un autre cas exemplaire est celui (le même que celui de l’assemblée plénière de la Cour de cassation en 2000) de la procédure d’injonction, dans le cadre de laquelle ont été sanctionnées la recevabilité et la conformité aux dispositions relatives aux principes d’équité et de bonne foi des comportements par lesquels le demandeur, en défense d’une créance découlant d’un seul rapport d’obligation, agit, d’abord au moyen d’une requête d’injonction de payer, pour la somme déjà documentée, puis par la voie ordinaire, pour la créance résiduelle. Il a été exclu que ce mode opératoire viole l’interdiction de fractionnement de la créance en plusieurs demandes en justice, et qu’il y ait donc abus de procédure – en tant que détournement de l’acte processuel de sa finalité typique, au profit d’une finalité autre, étrangère à cette finalité typique – étant donné le droit du créancier de recourir à une protection accélérée, par le biais d’une injonction, pour la partie de la créance qui remplit les conditions requises pour une telle injonction.[24]

De même, en ce qui concerne la jurisprudence du fond : si, d’une part, elle confirme que les demandes relatives à des droits de créance identiques quant à leur objet et à leur titre ne peuvent être introduites dans des procédures différentes lorsque les faits constitutifs correspondants, même s’ils sont différents, s’inscrivent dans le cadre d’une relation unitaire entre les parties, caractérisant l’événement concret dont dérive le litige, elle considère d’autre part que le contraire est possible lorsque le demandeur a un intérêt objectif, dont la vérification incombe au juge du fond, à n’introduire l’action que pour l’une ou certaines des créances susmentionnées. [25]

5….suite. Jugement et sanction.

 

La question de savoir s’il est possible ou non d’introduire plusieurs demandes relative à une même créance, ou en tout cas découlant du même rapport d’obligation, dialogue directement avec la question relative aux limites du jugement [26] et c’est en effet sur la base de cet argument que la jurisprudence élargit ou rétrécit les limites de la figure en question.

Par le passé déjà la jurisprudence s’était prononcé en faveur de l’interdiction du fractionnement de la créance en invoquant également l’argument de la violation du principe selon lequel le jugement couvre non seulement le « déduit » mais aussi le « déductible ». L’arrêt n° 23726/2007 de l’assemblée plénière de la Cour de cassation avait énoncé le corollaire selon lequel « toutes les demandes en justice ayant pour objet une fraction d’une créance unique doivent être déclarées irrecevables », montrant adhérer à la thèse de la nature processuelle du jugement de rejet ainsi rendu.

La question a de nouveau retenu l’attention de la jurisprudence qui, dans le même arrêt admettant la possibilité, en présence d’un intérêt objectif du créancier, de la présentation de demandes séparées, a récemment mieux précisé, pour ainsi dire, actualisé les principes posés il y a une vingtaine d’années.

En effet, sur la base du cadre ayant émergé récemment, la figure en question prend une connotation différente si l’on considère que, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, s’il n’est pas possible d’introduire une procédure unitaire pour la prétention arbitrairement fractionnée, en raison du prononcé d’un jugement sur la fraction de la créance proposée séparément, le juge est tenu de statuer au fond sur la demande, même si elle a été arbitrairement fractionnée, en tenant compte du comportement du créancier au moment de la fixation des frais de procédure, avec la faculté, à cet effet, d’exclure la condamnation en sa faveur ou même de le condamner à payer tout ou partie des frais de procédure, conformément aux articles 88 et 92, alinéa 1 du Code de procédure civile, au motif que le fractionnement abusif de la demande en justice constitue un comportement contraire aux devoirs d’équité et de probité processuelle.[27]

Plusieurs principes en découlent. Le premier est certainement la confirmation de la dimension processuelle, au sens de contrariété aux principes régissant depuis longtemps le procès civil, de bonne foi et de correction et de loyauté processuelle, d’un comportement consistant à fractionner la même créance découlant du même rapport d’obligation. De ce point de vue, la contrariété au droit de la figure en question n’est pas contestée. En revanche, les récents arrêts témoignent de la prise de conscience d’un problème à résoudre dès lors que ces préceptes ont été effectivement violés, mais surtout dès lors qu’une décision ayant l’autorité de la chose jugée a été rendue à l’issue du procès abusivement introduit, si bien qu’il ne peut plus désormais être ramené à l’unité. En substance, le juge sera de toute façon tenu de statuer sur la demande introduite ultérieurement, fractionnement de la créance dont l’exécution avait déjà été demandée, dans le respect des limites de l’autorité de la chose jugée, mais sans préjudice de la condamnation du créancier fautif aux frais de procédure, aux termes des articles 88 et 92, alinéa 1, du Code de procédure civile.

Le respect des limites de l’autorité de la chose jugée devient évidemment limite processuelle en ce qui concerne l’extension possible de la figure du fractionnement abusif de la créance qui, par conséquent, dans une telle hypothèse, n’a pas d’autre sanction que le paiement des frais de procédure, sachant par ailleurs que la déclaration d’irrecevabilité de la demande, lorsqu’il n’est pas possible de réintroduire la demande de façon unitaire, a été jugée disproportionnée, dans la mesure où elle contrevient  au principe du procès équitable, ainsi qu’avec ceux de la proportionnalité et de la raisonnabilité implicitement inhérents au concept de procès équitable.

La position de la jurisprudence la plus récente en la matière – les principes mentionnés ont été énoncés il y a un peu plus d’un mois – semble avoir déplacé le « leading case » de la question, ou plutôt, avoir poursuivi la ligne inaugurée il y a environ une décennie par les arrêts historiques « jumeaux » de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 16 février 2017, n° 4090 et n° 4091[28] , dans lesquels elle a jugé que, en principe, les demandes ayant pour objet des droits de créance différents et distincts, même s’ils se rapportent à un même rapport de durée entre les parties, peuvent être introduites dans des procédures distinctes, mais a également tenu compte de la formation survenue entre-temps d’une orientation jurisprudentielle [29] faisant émerger la nécessité de privilégier dans la mesure du possible, une décision visant à la consolidation définitive de la situation substantielle sous-jacente, directement ou indirectement portée en justice « en évitant de transformer le procès en un mécanisme potentiellement destiné à être activé à l’infini ». Dans cette perspective, les arrêts susmentionnés ont donc affirmé que lorsque les créances susmentionnées, en plus de se rapporter à une même relation entre les mêmes parties, sont également, en projection, inscrites dans le même cadre objectif d’une éventuelle décision ayant l’autorité de la chose jugée ou, en tout état de cause, fondées sur le même fait constitutif, de telle sorte qu’elles ne pourraient être examinées séparément qu’au prix d’une duplication de l’activité d’instruction et, par conséquent, d’une dispersion de la connaissance de l’affaire, identique quant à sa substance, les créances concernées ne peuvent être formulées dans le cadre de procédures autonomes que si le créancier a un intérêt objectif à la protection processuelle.

Ces principes ont été en dernier lieu corroborés par une jurisprudence récente qui, si, d’une part, elle ne manifeste pas du tout la volonté de revenir sur l’interdiction du fractionnement abusif de la créance dans le procès, semble néanmoins aussi montrer une certaine « compréhension » à l’égard d’un tel comportement lorsque : 1) il répond à un intérêt appréciable du créancier ; 2) décision a déjà l’autorité de la chose jugée.

S’il est certainement exact que l’autorité de la chose jugée, origine et fin du système processuelle, doit toujours être sauvegardé, évidemment dans le respect des principes visant à favoriser une gestion optimale du procès, une telle interprétation, pour obligatoire qu’elle puisse paraître, ne contribue évidemment pas à renforcer les limites de cette figure, ce qui est difficilement conciliable avec l’attention croissante, que nous évoquions en ouverture, portée à la mise en place de mécanismes judiciaires et extrajudiciaires propres à décourager les comportements préjudiciables (pour les autres parties et pour le procès), et avec la tendance à rechercher toujours plus d’efficacité et d’efficience dans le procès.

La limite de la décision ayant l’autorité de la chose jugée sur la créance semble toutefois aller bien au-delà de l’appréciation, qui est discrétionnaire, de l’existence d’un intérêt objectif du créancier au fractionnement de la demande en justice : cette dernière, comme on l’a dit, est laissée à l’appréciation du juge, mais la limite de la décision ayant l’autorité de la chose jugée est incontestable, de sorte qu’on ne peut exclure la possibilité d’actions sciemment introduites une fois que la décision a acquis l’autorité de la chose jugée, actions qui n’auraient pas d’autre sanction que celle des frais de procédure.

En particulier dans les hypothèses où il n’est pas possible d’empêcher l’accès au procès par une décision d’irrecevabilité, l’instrument des frais de procédure peut s’enrichir d’une potentialité supplémentaire (dont l’utilisation était souhaitée par la doctrine depuis les premiers commentaires sur l’arrêt n° 23726/2007), puisqu’il peut être également utilisé pour sanctionner un créancier ayant procédé à un fractionnement abusif de la créance, en mettant à sa charge, même s’il a gain de cause, les frais de procédure engagés par la partie adverse, ce qui revient en substance à faire de la condamnation aux frais de procédure une véritable de sanction, indépendante par rapport à la condition de la succombance.

D’autre part, bien qu’une orientation non minoritaire de la jurisprudence et de la doctrine exclue, comme on le sait, la possibilité d’utiliser la condamnation aux frais de procédure comme instrument de sanction des comportements d’abus de procédure, son utilisation comme instrument de sanction dans les cas d’abus de procédure a été valorisée depuis longtemps [30] .

[1] La littérature sur ce thème est illimitée. Parmi d’autres, sans prétendre à l’exhaustivité, citons G. Chiaramonte, Frazionabilità della domanda risarcitoria: tra abuso del processo e limiti oggettivi del giudicato, in Danno resp., 2024, II, 206 et suivantes; M. Federico, La Corte di Cassazione torna sul frazionamento del credito tra buona fede e giusto processo, in Jus civile, 2021, V, 1599 et suivantes; M. Giacomelli, Abuso del processo per indebito frazionamento del credito: le sezioni unite eludono la questione del fondamento della sanzione dell’improponibilità della domanda successiva, in Giusto proc. civ., 2018, 153 et suivantes; G. Guarnieri, La coscienza di Zeno e un (presunto) caso di frazionamento del credito – Il commento, in Lav. giur., 2017, V, 464 et suivantes; C. Asprella, Frazionamento del credito, abuso del processo e interesse a proporre l’azione esecutiva, in Riv. esec. forzata, 2015, III, 457 et suivantes; Ead., Il frazionamento del credito nel processo, Bari, 2015; M.F. Ghirga, Recenti sviluppi giurisprudenziali e normativi in tema di abuso del processo, in Riv. dir. proc., 2015, II, 445 et suivantes; Ead., Abuso del processo e sanzioni, Milan, 2012, passim; M. Montanari, Note minime sull’abuso del processo civile, in Corr. giur., 2011, IV, 556 et suivantes; A. Graziosi, Pluralità di azioni a tutela dello stesso diritto (frazionato) o abuso del diritto di azione), ibidem, 2009, VIII, 1133 et suivantes; A.M. Cabras, Domanda di adempimento frazionata e violazione dei canoni di correttezza e buona fede, in Obbl. contr., 2008, X, 786 et suivantes; M. Gozzi, Il frazionamento del credito in plurime iniziative giudiziali, tra principio dispositivo e abuso del processo, in Riv. dir. proc., 2008, V, 1437 et suivantes; M. De Cristofaro, Infrazionabilità del credito tra buona fede processuale e limiti oggettivi del giudicato, in Riv. dir. civ., 2008, III, 2, 335 et suivantes; P. Rescigno, L’abuso del diritto (Una significativa rimeditazione delle Sezioni Unite), in Corr. giur., 2008, VI, 745 et suivantes; V. Fico, La tormentata vicenda del frazionamento della tutela giudiziaria del credito, in Giust. civ., 2008, XII, 2807 et suivantes

[2] En matière d’abus de procédure, voir, ex multis, A. Panzarola, Presupposti e conseguenze della creazione giurisprudenziale del c.d. abuso del processo, in Dir. proc. amm., 2016, 23 et suivantes;M. Montanari, Note minime sull’abuso del processo civile, Corriere giur., 2011, 556 e et suivantes; M. Bove, Il principio della ragionevole durata del processo nella giurisprudenza della Corte di cassazione, Napoli, 2010, 99 e et suivantes; M. De Cristofaro, Doveri di buona fede ed abuso degli strumenti processuali, in Giusto proc. civ., 2009, 1018; L.P. Comoglio, Abuso del processo e garanzie costituzionali, in Riv. dir. proc., 2008, 319 et suivantes; A. Dondi, A. Giussani, Appunti sul problema dell’abuso del processo civile nella prospettiva de iure condendo, Riv.trim. dir. proc. civ., 2007, 193 e et suivantesF. Cordopatri, L’abuso del processo, Padoue, 2000; M. Taruffo, Elementi per una definizione di abuso del processo, in AA.VV., L’abuso del diritto, Padoue, 1998, 435 et suivantes; De Stafano, Note sull’abuso del processo, in Riv. dir. proc., 1964, 582 et suivantes

[3] S. Satta, Commentario al codice di procedura civile, I, Milan, 1959, 329 et et suivantes

[4] Sur le fractionnement de la créance en tant que cas tout à fait singulier d’abus de procédure, voir notamment G. Scarselli, Sul c.d. abuso del processo, in Riv. dir. proc. 2013, 1450 et suivantes. Selon l’auteur, à la lumière des études menées par la doctrine faisant autorité, l’abus de procédure peut être ramené à quatre hypothèses principales. La première, mentionnée ci-dessus, se produit chaque fois qu’une partie, bien que pouvant obtenir un certain résultat par le biais d’une procédure judiciaire unique, promeut plusieurs jugements distincts afin de parvenir au même résultat, alors que la source du droit revendiqué découle d’un seul rapport juridique. Ce comportement entraîne une duplication injustifiée des activités procédurales, avec une charge conséquente pour l’autre partie – généralement le débiteur – en violation des principes d’équité et de bonne foi (articles 1175 et 1375 du Code civil), ainsi que du principe de la procédure régulière consacré par l’article 111 de la Constitution ; une deuxième hypothèse se produit lorsqu’une partie se sert d’un outil procédural non pas pour poursuivre l’objectif pour lequel il a été conçu par la loi, mais plutôt pour obtenir un effet « détourné ». Un exemple emblématique est représenté par la présentation instrumentale d’un règlement préventif de compétence, non pas pour obtenir une décision de compétence de la Cour de cassation, mais uniquement pour bénéficier de la suspension du procès au fond en vertu de l’article 367 du Code de procédure civile, dans le but de retarder la procédure ; un troisième cas est celui lié à l’hypothèse d’un comportement procédural inapproprié ou dilatoire, ou en tout cas non conforme à la norme de correction et de diligence requise, en particulier par un professionnel du droit. C’est surtout dans ces cas que la jurisprudence met l’accent sur une interprétation téléologique et fonctionnelle des règles de procédure, de manière à permettre au juge d’éviter des formalités inutiles et fastidieuses ; une dernière hypothèse, de nature résiduelle, laisse essentiellement au juge, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, la possibilité de qualifier d’abusif le comportement procédural d’une partie, même en dehors des cas typiques décrits ci-dessus. Il s’agit d’une clause de clôture qui permet au juge de réprimer, de manière équitable et systémique, les comportements contraires au bon fonctionnement de la justice. Cette orientation est fondée sur l’article 96, alinéa 3, du Code de procédure civile, qui reconnaît la possibilité de sanctionner l’usage détourné de l’action judiciaire, même lorsqu’elle est exercée de manière à démontrer « l’insensibilité à la chose publique », le désintérêt pour la « surcharge du rôle du juge » ou le « bon fonctionnement de la justice ».

[5] Il convient de rappeler, en ce qui concerne les « motifs » qui sous-tendent la demande de protection – donc, en substance, l’intérêt sur lequel l’action est fondée – que, même avant l’avènement de l’arrêt historique de l’assemblée plénière de la Cour de cassation en 2007, la doctrine autorisée n’avait pas manqué de suggérer l’introduction du paramètre du bien-fondé de la protection demandée, déclinaison de l’art. 100 du Code de procédure civile (mais aussi de l’art. 89 du Code de procédure civile). Voir notamment M. F. Ghirga, La meritevolezza della tutela richiesta. Contributo allo studio sull’abuso dell’azione giudiziale, Milan, 2004, passim, selon lequel le paramètre du bien-fondé de la protection demandée serait par essence une condition de l’action, logiquement antérieure au bien-fondé de la demande. Il s’élèverait en fait à la fonction de « filtre » de la demande d’accès à la justice ; Ead, Principi proceduali e meritvolezza della tutela richiesta, in Riv. dir. proc, 2020, 13 ss ; S. Boccagna, ” Il frazionamento giudiziale del credito tra (in)disponibilità dell’oggetto del processo e “meritevolezza” della tutela “, in Storia, metodo, cultura nella scienza giuridica, 2022, 203 ss ; E. Bivona, ” Frazionamento “abusivo” del credito e controllo giudiziale sull’interesse ad agire “, in Riv. dir. civ., 2018, V, 1163 et suivantes

[6] « Il semble évident que l’introduction en justice d’une créance découlant d’une obligation unique sous la forme de plusieurs procédures ne donne lieu à un « abus de procédure » que si, dans ce comportement du créancier, la violation de la règle de la correction et du principe de la bonne foi (objective) est établie et qu’il y a aggravation effective de la situation du débiteur. Par ailleurs, la notion d’ « abus » impose de procéder à une vérification concrète : en d’autres termes, il s’agit d’évaluer si un comportement constituant potentiellement un abus a effectivement entraîné une violation de l’article 88 du Code de procédure civile ». Dans les mêmes termes, A. Panzarola, Principi e regole in epoca di utilitarismo processuale, Bari, 2022, 86, nt. 121.

[7] En ce qui concerne l’obligation de vérité des parties dans le procès – que la grande majorité de la doctrine tend à considérer comme en principe certes compatible, mais inexistante dans le cadre du procès civil interne (principalement en raison de l’absence substantielle d’un système de sanctions) – cf. A. Panzarola, Il problema della verità nella dottrina processualistica italiana a cavallo tra la fine della prima Guerra Mondiale e l’avvento della Repubblica : Calamandrei, Carnelutti, Satta e Capograssi, in Il Processo, 2023, 3, pp. 739 ff. ; M. Gradi, L’obbligo di verità delle parti, Turin, 2018 ; A. Carratta, Dovere di verità e completazza nel processo civile, in Riv. trim. dir. e proc. civ., 2014, p. 52 et s. et p. 494 et s. ; F. Macioce, La lealtà, una filosofia del comportamento processuale, Turin, 2005 ; G. Scarselli, Lealtà e probità nel compimento degli atti processuali, in Riv. trim. dir. e proc. civ., 1998, p. 91 et s.

[8] Sur l’obligation de vérité des parties en Allemagne et en Autriche, voir, notamment K. Prange, Materiell-rechtliche Sanktionen bei Verletzung der prozessualen Wahrheitspflicht durch Zeugen und Parteien, Berlin, 1995, p. 27 et s. ; R. Bruns, Zivilprozessrecht : eine systematische Darstellung, München, 1979, pp. 85 et suivantes ; R. Stürner, Die Aufklärungspflicht der Parteien des Zivilprozesses, Tü bingen, 1976, pp. 10 et suivantes. Dans une perspective historique comparative avec le système italien, par exemple, M. Gradi, L’obbligo di verità delle parti, cit. p. 173 et suivantes.

[9] L’article 88 du Code de procédure civile prévoit, en termes généraux, que les parties et leurs défenseurs sont tenus de se comporter avec loyauté et probité au cours du procès. En particulier, si ce sont les avocats qui manquent à cette obligation, le juge est tenu de signaler ce comportement aux organes compétents en vue de l’exercice du pouvoir disciplinaire. Toutefois, la règle se contente d’énoncer le principe sans préciser quel comportement, concrètement, peut constituer un manquement au devoir de loyauté et de probité. Pour une réflexion plus large sur ce point, voir M. Giorgetti, La catégorie controversée de l’abus du procès et la tentative de le reconstituer : autrement dit l’histoire d’un principe général qui n’existe pas en Italie, in www.judicium.it, 16 septembre 2012.

[10] Pour une réflexion critique, voir encore A. Panzarola, Principi e regole in epoca di utilitarismo processuale, cit. 85 ss, selon lequel « l’expression d’ « abus de procédure » a une portée si vague qu’elle est dépourvue de tout caractère individualisant (…). Le recours fréquent au schéma du détournement de pouvoir montre qu’à l’origine de l’abus, il y a une situation de discrétionnarité par rapport au procès, à sa mise en place comme à son déroulement concret. Dans ce cadre, seules les activités délibérées et orientées vers un objectif spécifique peuvent être considérées comme abusives. Le fait même d’évoquer un abus fautif semble être une contradiction dans les termes. Toutefois, la notion d’abus est également liée à l’article 96, alinéa 3, du Code de procédure civile qui, selon l’interprétation qu’il convient de préférer, met également l’accent sur le comportement fautif de la partie. Il convient d’ajouter que la recherche de l’état subjectif de l’agent est considérée comme superflue dans le cas du fractionnement de la demande par ceux qui le considèrent comme illégitime en tant que tel ».

[11] Sur l’essentiel de la doctrine en la matière, voir, ex plurimis, A. Pisani Tedesco, Lite temeraria, sanzioni civili e ruolo dell’interprete, in Riv. dir. proc. 2021, 111 et suivantes ; C. Asprella, L’art. 96, comma 3, c.p.c. tra danni punitivi e funzione indennitaria, in Corr. giur, 2016, XII, 1588 et suivantes ; P. Pellegrinelli, Dell’autonomia funzionale e conceptettuale dell’istituto della responsabilità processuale aggravata, in Resp. civ. prev., 2018 ; F. Cordopatri, L’abuso del processo, I, Padoue, 2000, passim ; G. Bongiorno, voce Responsabilità aggravata, in Enc. giur., XXVI, Rome, 1991 ; C. Calvosa, La condanna al risarcimento danni per responsabilità aggravata, in Riv. trim. dir. proc. civ., 1954 ; E. Grasso, Della responsabilità delle parti per le spese e per i danni processuali, in Comm. c.p.c. Allorio, I, Turin, 1973.

[12] La doctrine autorisée qualifie le comportement de fractionnement de la créance dans le procès comme une forme d’abus « objectif », entendu comme détaché de l’élément subjectif sous-jacent. Il s’agit évidemment d’une interprétation propre à élargir les contours de la figure et, néanmoins, à l’affranchir du concept même d’abus de procédure si celui-ci est compris comme étant lié, dans une certaine mesure, à un élément dolosif ou fautif. Il s’agit essentiellement du problème inhérent à la catégorie même de l’abus de procédure tel qu’il découle du principe énoncé à l’article 96 du Code de procédure civile, qui s’intéresse, dans le contexte du procès dit téméraire, à l’élément subjectif qui sous-tend le comportement, en lui attribuant (de la négligence légère à la faute intentionnelle) les conséquences en termes de sanctions qui en découlent (voir, tout récemment, S. De Lucia, La rilevanza dell’elemento soggettivo nella condanna punitiva per responsabilità processuale aggravata, in Rass. dir. civ., III, 1029 et suivantes). Sur le fractionnement de la créance dans le procès en tant que forme d’ « abus objectif », voir, par exemple, F.P. Luiso, in Aa.Vv., L’abuso del processo. Atti del XXVIII convegno nazionale (Urbino, 23-24 settembre 2011, Bologne, 2011, 253 et suivantes V. anche G. Buffone, Il danno da abuso del processo è (di fatto) in re ipsa, in Dir. fam. persone, 2012, 292 et suivantes; M. De Cristofaro, Infrazionabilità del credito tra buona fede processuale e limiti oggettivi del giudicato, cit., 340, selon lequel le fractionnement processuel de la créance est abusif en soi, même en l’absence de finalités émulatives, car il constitue un comportement capable de provoquer la « désarticulation de l’unité substantielle du rapport » qui, mis en œuvre dans le procès et à travers le procès, donne lieu à un abus de ce dernier, en présence d’une situation qui est en substance unitaire.

[13] Il y a une référence claire à l’arrêt historique de l’assemblée plénière de la Cour du cassation du 10 avril 2000, n° 108, in Dir. giur., 2002, 443 et suivantes, avec note de E. Sena, Richiesta di adempimento parziale e riserva di azione per il residuo: l’orientamento delle Sezioni unite della Cassazione; in Giust. civ., 2000, I, 2265, avec note de R. Marengo, Parcellizzazione della domanda e nullità dell’atto; in Giur. it., 2001, 1143 et suivantes, avec notes di A. Carratta, Ammissibilità della domanda “frazionata” in più processi et d’A. Ronco, (Fr)azione: rilievi sulla divisibilità della domanda in processi distinti; in Nuova giur. civ. comm., 2001, 506 et suivantes, avec note de V. Ansanelli, Rilievi minimi in tema di abuso del processo. Il convient de rappeler que cette décision est intervenue pour régler le conflit jurisprudentiel qui était apparu concernant la possibilité pour le créancier de fractionner la créance du créancier, selon qu’un tel comportement était ou non qualifié d’exercice abusif du procès comme instrument. Une partie de la jurisprudence de la Cour de cassation (voir Cour de cassation 9 novembre 1998, n° 11265 ; Cour de cassation 5 novembre 1998, n° 11114 ; Cour de cassation 19 octobre 1998, n° 10326) a été encline à considérer comme légitime le comportement du créancier qui fractionne sa créance, en rappelant que ce dernier a le droit de demander – également par le biais d’une requête d’injonction de payer – l’exécution partielle de l’obligation. Cette solution a été déduite de la disposition de l’article 1181 du Code civil, qui permet au créancier d’accepter l’exécution partielle et qui, par symétrie, envisagerait donc également le droit de demander l’exécution partielle. Selon cette approche, le risque d’une augmentation des frais de procédure pour le débiteur, résultant de la pluralité d’initiatives judiciaires, ne peut être considéré comme une raison suffisante pour limiter la liberté d’action du créancier. En effet, le débiteur lui-même dispose de moyens juridiques appropriés pour protéger sa position : il peut soit mettre le créancier en demeure en offrant l’exécution de la totalité de la dette résiduelle, soit intenter une action en justice pour contester la créance résiduelle, ce qui lui permet s’opposer aux abus éventuels. Une autre orientation (Cour de cassation 8 août 1997, n° 7400 ; Cour de cassation 23 juillet 1997, n° 6900), en revanche, partant du principe de la bonne foi et de la correction, a adopté une approche restrictive de la légitimité du fractionnement judiciaire de la créance par le créancier, considérant qu’un tel comportement est incompatible avec les principes de bonne foi et de correction qui doivent caractériser l’exécution du rapport d’obligation. Selon cette approche, le recours à une pluralité d’actions judiciaires, échelonnées dans le temps et dépourvues de justification objectivement appréciable, représenterait une forme d’abus de droit, au détriment surtout du débiteur, qui serait exposé à une prolongation injustifiée de la procédure et au préjudice injustifié qui en découlerait.

[14] Voir récemment, entre autres, assemblée plénière de la Cour de cassation, 15 novembre 2021, n° 34349.

[15] In Riv. dir. proc. 2008, V, 1435 et suivantes avec note de M. Gozzi, Il frazionamento del credito in plurime iniziative giudiziali, tra principio dispositivo e abuso del processo, cit. ; in Danno resp, 2008, X, 996 et suivantes et, avec une note de F. Festi, Buona fede e frazionamento del credito in più azioni giudiziarie ; dans Obbl. contr., 2008, X, 784 et suivantes et 800 et suivantes respectivement avec des notes de A. Meloni Cabras, Domanda di adempimento frazionata e violazione dei canoni di correttezza e buona fede et de B. Veronese, Domanda frazionata : rigetto per contrarietà ai principi di buona fede e correttezza; in Corr. giur. 2008, 15 et suivantes avec des notes de B. Carbone, Osservatorio – Corte di Cassazione – Obbligazioni e contratti – Abuso del processo : frazionamento di credito unitario <Observatoire – Cour de cassation – Obligations et contrats – Abus de procédure : fractionnement de la créance unitaire>.

[16] Depuis son adoption, des voix discordantes se sont élevées dans la doctrine à l’égard de la position prise par la Cour de cassation dans l’arrêt en question, notamment en raison du fait qu’il ne tiendrait pas compte la circonstance en vertu de laquelle la nécessité pour le créancier d’agir en justice pour satisfaire la créance découle de l’inexécution par le débiteur de l’obligation qui lui incombait, un débiteur que, par contre, en plus du principe de l’ « ordre public », au sens de ne pas surcharger inutilement le système judiciaire, l’orientation contraire au fractionnement de la créance vise à protéger. En effet, on a pu faire remarquer, tout d’abord, que le principe de bonne foi et de correction est en fait appliqué de manière unilatérale, n’étant invoqué qu’à l’encontre du créancier, sans tenir compte du fait que le problème découle souvent d’un comportement du débiteur qui ne respecte pas ces principes, comme l’inexécution ou la résistance injustifiée ; en outre, en ce qui concerne les moyens de défense dont dispose le débiteur, ce dernier conserverait la possibilité d’offrir l’exécution intégrale de la prestation et de mettre le créancier en demeure en cas de refus, ainsi que le droit d’introduire une demande reconventionnelle contestant l’ensemble de la créance. Voir notamment A. Finessi, La frazionabilità (in giudizio) del credito : il nuovo intervento delle sezioni unite, in Nuova giur. civ. comm. 2008, 462 et suivantes ; dans le même sens, la position adoptée, entre autres, par Fittipaldi, Clausola generale di buona fede e infrazionabilità della pretesa creditizia rimasta inadempito, in Corr. Giur. 1998, 540 ss, selon laquelle l’initiative du créancier consistant à fractionner une créance portant restée insatisfaite est recevable, étant donné qu’elle « se développerait à la suite d’un comportement volontaire, conscient et illégitime du débiteur (autrement dit l’inexécution) » et ne serait donc pas en contradiction avec les principes de correction et de bonne foi ; contra, P. Rescigno, L’abuso del diritto (Una significativa rimeditazione delle Sezioni Unite), cit.; A. Ronco, (Fr)azione: rilievi sulla divisibilità della domanda in processi distinti, cit.; v. aussi Id., Azione e frazione: scindibilità in più processi del petitum di condanna fondato su un’unica causa petendi o su causae petendi dal nucleo comune, ammissibilità delle domande successive alla prima e riflessi oggettivi della cosa giudicata, in Giur. it., 1998, 890 et suivantes

[17] À cet égard, il convient de signaler, par exemple, comment l’initiative prise par la partie consiste à engager, non pas deux procédures différentes pour la même créance, dans le sens « typique » où l’on entend le fractionnement de la créance, dans son sens dit pathologique, mais une procédure différente et distincte pour demander le remboursement du montant avancé et des frais de justice nécessaires au recouvrement, sans attendre que la première procédure soit terminée et que le juge établisse qui doit en supporter la charge de manière définitive. Cf. Cour de cassation, 22 novembre 2017, n° 27758, selon laquelle « l’initiative prise par la partie – consistant à engager, de manière tout à fait inopportune, une procédure différente et distincte pour demander le remboursement du montant avancé et des frais de justice nécessaires au recouvrement (lettre recommandée), sans même attendre que le procès en première instance soit conclu et que le juge établisse qui doit supporter définitivement la charge – aboutit à un fractionnement indu de la créance avec un abus substantiel de l’instrument processuel ». De plus, une forme d’abus de procédure a été reconnue en matière d’obligations pécuniaires multiples relatives à une même relation de travail, au titre d’un même fait fautif générateur de dommages et intérêts, lorsqu’une action en réparation du préjudice moral intervient après l’action en réparation du préjudice patrimonial, sous réserve d’un intérêt objectivement appréciable à une protection processuelle fractionnée (Cour de cassation, 15 octobre 2019, n° 26089 ; à comparer avec Cour de cassation, 28 juin 2018, n° 17019).

[18] En doctrine, voir notamment B. Cavallone, In difesa della veriphobia (considerazioni amicamente polemiche su un libro recente di Michele Taruffo), in Riv. dir. proc. 2010, 1 ; M. Taruffo, Contro la veriphobia. Osservazioni sparse in risposta a Bruno Cavallone, in Riv. dir. proc. 2010, 995 ; Id. Il giudice e la costruzione dei fatti, Rome-Bari, 2009 ; S. Chiarloni, Giusto processo, garanzie processuali, giustizia della decisione, in Riv. trim. dir. e proc. civ. 2008, 129 et suivantes ; G. Scarselli, Le spese giudiziali civili, Milan, 1998 ; E. Redenti, Diritto processuale civile, I, Milan, 1953 ; P. Calamandrei S, Il processo come giuoco, in Riv. dir. proc. 1950, I, 23 ; S. Rodotà, Le fonti di integrazione del contratto, Milan, 1969, 175.

[19] En ce sens déjà Cass. Sez. Un., assemblée plénière, 13 septembre 2005, n° 18128 ; Cour de cassation 7 juin 2006, n° 13345 ; Cour de cassation 24 septembre 1999, n° 10511 ; Cour de cassation 20 avril 1994, n° 3775. L’orientation constante de la jurisprudence de la Cour de cassation qualifie en effet la bonne foi de critère caractéristique du contrat, source et obligations autonomes et instrumentales d’information, de solidarité et de protection.

[20] Sur ce sujet voir, pour tous, suite à la modification de l’article 121 du Code de procédure civile par le décret législatif n° 149 tel que modifié du 10 octobre 2022, M. Montanari, Sul regime sanzionatorio applicabile alla violazione dei precepts di chiarezza e sinteticità degli atti processuali civili, in Judicium, 2024, II, 227 et suivantes ; G. Grisi, La chiarezza e sinteticità degli atti del processo civile, in Studi Senesi, 2024, II, 365 et suivantes Capponi, Prolissità negli atti processuali, in Foro it. 2023, VI, 245 ss. ; R. Donzelli, Considerazioni sparse sulla riforma del processo civile : disposizioni generali, processo di cognizione, appello e cassazione, in Giust. civ. 2023, II, 413 et suivantes

[21] Cass. Sez. Un., assemblée plénière, 19 mars 2025, n° 7299, in Dir. giust. avec une note de F.M.M. Bisanti, qui, dans le droit fil de ce qui a été dit précédemment par Cass. Sez. Un., assemblée plénière., 16 février 2017, n° 4090, in Dir. giust. avec une note de M. Corrado, Diritti di credito diversiSe relativi allo stesso rapporto possono essere fatti valere separatamente, a affirmé que « au sujet du fractionnement abusif de la créance, les droits de créance qui, en plus de se rapporter à la même relation de durée entre les mêmes parties, sont également en projection inscrits dans le même cadre objectif d’un éventuel jugement ou fondés sur des faits constitutifs identiques ou similaires dont l’appréciation séparée entraînerait un gaspillage inutile et injustifié de l’activité processuelle […] ne peuvent être actionnées dans des actions séparées, à moins qu’il ne soit établi que le créancier a un intérêt appréciable à une protection processuelle fractionnée, faute de quoi la demande abusivement fractionnée doit être déclarée irrecevable, sans préjudice du droit à l’introduction d’une demande unitaire ; toutefois, s’il n’est pas possible d’introduire une procédure unitaire sur la prétention arbitrairement fractionnée, en raison de l’existence d’une décision ayant l’autorité de la chose jugée sur la fraction de la demande introduite séparément, le juge est tenu de statuer sur le bien-fondé de la demande, même arbitrairement fractionnée, en tenant compte du comportement du créancier lors du règlement des frais de procédure et en pouvant, à cette fin, exclure la sentence en sa faveur ou même établir les frais de litige en tout ou en partie à sa charge, en vertu des articles 88 et 92, alinéa 1 du Code de procédure civile, dans la mesure où le fractionnement abusif de la demande en justice constitue un comportement contraire aux devoirs de loyauté et de probité procédurales ».

[22] En ce sens précédé, entre autres, par Cassation, 30 octobre 2006, n° 23342 ; Cassation, 28 juillet 2005, n° 15823 ; Cassation, 7 décembre 2004, n° 22987.

[23] A titre d’exemple, il a été jugé en jurisprudence que ne constitue pas un intérêt « objectivement appréciable et propre à permettre ce fractionnement, considéré en elle-même, la perspective d’une plus grande célérité de la procédure devant l’un plutôt que l’autre des juges saisis, en raison de la compétence ad valorem des créances résultant du fractionnement » : Cour de cassation, 2 mai 2022, n° 13732, qui, en l’espèce, a exclu que la nécessité de contenir la valeur de la demande dans les limites de la compétence du juge de paix – valeur qui n’a été dépassée qu’en cours de procédure, en raison de l’aggravation des conditions de santé de la partie lésée – puisse représenter un intérêt susceptible de justifier le fractionnement des demandes ; cf. Cassation, 6 mai 2020, n° 8530.

[24] Cour de cassation, 6 octobre 2022, n° 28998.

[25] Voir par exemple Trib. de L’Aquila, 4 octobre 2023, n° 604.

[26] Sur ces aspects en particulier, voir A. Carratta, L’oggetto del giudicato civile fra dedotto e deducibile, in Riv. dir. proc., 2024, II, 499 ss. ; G. Chiaramonte, Frazionabilità della domanda risarcitoria: tra abuso del processo e limiti oggettivi del giudicato, op .cit. ; l’argument a inévitablement aussi à voir avec la question liée à la possibilité d’introduire de façon indépendante la demande de condamnation générique avec exécution provisoire, en se réservant le droit d’agir séparément pour l’ensemble. Sur ces questions, voir récemment les contributions de M. Vanzetti, Condanna generica e provvisionale: orientamenti consolidati che non convincono, in Riv. dir. proc. 2024, 200 ss., qui, face à la confirmation jurisprudentielle de l’orientation selon laquelle la demande autonome de condamnation générique serait recevable, remet en cause son fondement, sur la base du principe selon lequel la demande en justice doit avoir un objet adéquat, qui n’est pas simplement la partie des faits constitutifs d’un droit à réparation du dommage, composée de l’acte illicite, de la faute, de la potentialité dommageable du premier (dommage « dans l’abstrait ») et du lien de causalité ; Id., Condanna generica autonoma e provvisionale – Le Sezioni Unite ribadiscono l’ammissibilità della domanda autonoma di condanna generica, in Giur. it., 2023, IV, 843 et suivantes; v. aussi Condanna generica – La Cassazione, con un lungo obiter, pretende di eliminare la domanda autonoma di condanna generica, ibidem, 2022, XI, 2394.

[27] Cass. Sez. Un., assemblée plénière, 19 mars 2025, n° 7299, cit.: « …les droits de créance qui, outre qu’ils sont fondés sur le même rapport de durée entre les mêmes parties, sont également projetés dans le même champ objectif d’un éventuel jugement ou sont fondés sur des faits constitutifs identiques ou similaires dont l’appréciation séparée entraînerait un gaspillage inutile et injustifié de l’activité procédurale, ne peuvent être actionnées dans des procédures séparées, à moins qu’il ne soit établi que le créancier a un intérêt appréciable à une protection processuelle fractionnée, faute de quoi la demande abusivement fractionnée doit être déclarée irrecevable, sans préjudice du droit à une nouvelle demande unitaire ».

[28] Giusto proc. civ., 2018, 161 et suivantes, avec note de U. Giacomelli, Abuso del processo per indebito frazionamento del credito: le Sezioni unite eludono la questione del fondamento della sanzione dell’improponibilità della domanda successiva; in Corr. giur., 2017, 1302 et suivantes, avec note de C. Asprella, Il frazionamento di diritti connessi nei rapporti di durata e nel processo esecutivo; in Riv. dir. proc., 2017, 1302 et suivantes, avec note de M.F. Ghirga, Frazionamento di crediti, rapporti di durata e interesse ad agire; in Giur. it., 2017, 1089 et suivantes, avec note de M. Barafani, I fondamenti concettuali del dibattito sul frazionamento giudiziale del credito; F. Troncone, Note minime sul frazionamento del credito a seguito di  Cass. Sez. Un. 16 febbraio 2017, nn. 4090 e 4091, in Judicium, 2017, 203 et suivantes. Sur ce point, signalons toutefois de noter que la Cour de cassation, 15 juin 2015, arrêt déjà cité, n’avait pas manqué d’exclure la possibilité de présenter dans plus d’un procès des créances ayant pour objet des droits de créance différents et distincts, bien que se rapportant au même rapport de durée entre les parties, lorsqu’elles se rapportent non seulement au même rapport entre les mêmes parties mais se situent également, en projection, dans le même champ objectif d’un éventuel jugement, à moins que le créancier ait un intérêt objectivement appréciable à la protection processuelle fractionné.

[29] Cour de cassation, assemblée plénière, 15 juin 2015, n° 12310, qui, en matière de modification de la demande, a relevé que « la modification de la demande admise par l’article 183 du Code de procédure civile peut également porter sur l’un ou les deux éléments objectifs de celle-ci («  petitum »  et « causa petendi »), à condition que la demande modifiée se rattache en tout état de cause quant à la substance à l’affaire portée en justice et sans que, de cela seul, découle une dégradation des possibilités de défense de la partie adverse ni un allongement des délais de la procédure ». De cela découle la recevabilité de la modification, dans le mémoire visé à l’article 183 du Code de procédure civile, de la demande initiale formulée en vertu de l’article 2932 du Code civil avec celle d’établissement l’effet de transfert »; voir également Cour de cassation, assemblée plénière, 12 décembre 2014, n° 26242 – in Giur. it., 2015, VI, 1386 et suivantes, avec note de M. Bove, Rilievo d’ufficio della questione di nullità e oggetto del processo nelle impugnative negoziali; in Giur. it., I, 70 et suivantes avec note de I. Pagni, Nullità del contratto – Il “sistema” delle impugnative negoziali dopo le Sezioni Unite; in Giusto proc. civ., avec note de S. Dalla Bontà, Una “benefica inquietudine”. Note comparate in tema di oggetto del giudicato nella giurisprudenza alla luce delle tesi zeuneriane, 2011, 891 et suivantes – qui, en matière de pathologie contractuelle, a observé que « le juge saisi d’une demande de nullité partielle du contrat doit constater d’office la nullité totale du contrat et, si les parties, à l’issue d’une telle décision, omettent une demande expresse en ce sens, il doit rejeter la demande initiale car il ne peut attribuer une efficacité, même partielle (sans préjudice du phénomène différent de la conversion substantielle), à un contrat radicalement nul et non avenu ».

[30] Voir, par exemple, Cour de cassation, assemblée plénière, 20 août 2010, n° 18810, qui a qualifié de « manquement au devoir de loyauté et de probité des parties régi par l’article 88 du Code de procédure civile le comportement processuel d’une partie caractérisé par la contestation répétée de la compétence de la juridiction saisie en opposition symétrique aux choix de la partie adverse, jointe à la demande, acceptée, de suspension du procès en application de l’article 295 du Code de procédure civile, s’agissant d’un comportement processuel de nature à affecter le droit fondamental de la partie à une durée raisonnable du procès découlant de l’article 111 de la Constitution. Un tel comportement peut donc conduire à l’application de l’article 92, premier alinéa, dernière partie du Code de procédure civile, selon lequel le juge, indépendamment de la succombance, peut condamner une partie à rembourser les frais que, en violation de l’article 88 du Code de procédure civile, elle a fait encourir à l’autre partie ». Voir également Cour de cassation, 29 mars 2011, n° 7097.